Rappel : Clauses subrogatoires visant les baux commerciaux lors d’acquisition – Un obstacle à anticiper

En mai 2022, la Cour supérieure a rendu sa décision dans l’affaire Troll Immobilier Inc. c. Landry 1, une affaire qui illustre l’importance cruciale de prendre connaissance des clauses présentes dans les actes de vente dans le cadre des baux commerciaux, en particulier lorsque des résiliations de baux sont envisagées post-clôture. En effet, les conséquences juridiques peuvent être lourdes.

Dans cette affaire, le demandeur, M. Gagnon, président et seul actionnaire de Troll Gestionnaire Inc., est pharmacien de profession 2. Après avoir longtemps rêvé d’ouvrir sa propre pharmacie, il décide de se lancer dans ce projet en acquérant deux immeubles contigus à cette fin 3. Dès le début des discussions relatives à l’achat, M. Gagnon exprime son souhait de résilier quasiment tous les baux non publiés des immeubles concernés afin de pouvoir démarrer son projet 4. Cependant après la transaction de vente, l’un des locataires refuse de quitter les lieux, ce qui entraîne des procédures judiciaires. Le locataire justifie sa défense sur une clause subrogatoire insérée dans l’acte de vente, dont la formulation est la suivante :

Le vendeur déclare avoir remis à l’acheteur, concurremment à la signature de l’offre d’achat, une copie complète de tous les baux et documents y afférents. Le vendeur subroge l’acheteur dans tous ses droits découlant desdits baux à compter de la date des présentes. 5

Bien que l’article 1887 du Code civil du Québec 6 (ci-après le « Code ») accorde à l’acquéreur d’un immeuble un droit de résiliation des baux non publiés, après un délai de 12 mois suivant la date de l’acquisition, sous réserve d’un préavis écrit de six (6) mois, la Cour a jugé que la clause subrogatoire contenue dans l’acte de vente primait sur ce droit de l’acquéreur aux termes du Code. Cette conclusion repose sur le fait que, sans stipulation expresse, l’article 1887 du Code permet à l’acheteur de résilier les baux non publiés par simple avis. Il va sans dire que les droits aux termes de l’article 1887 du Code s’appliquent dans la mesure où les baux visés ne sont pas publiés par les locataires. Tout bail publié par avis de bail doit être respecté par un acheteur pour son terme. Conséquemment, la Cour décide que l’insertion d’une clause de subrogation démontre une intention de maintenir tous les baux en vigueur entre les locataires et l’acheteur. 7 De même, la Cour estime que lorsqu’une clause de subrogation se retrouve dans l’acte de vente, le contrat transfère les droits autant que les obligations en lien avec les baux en vigueur.  Cette décision reflète le principe établi par la Cour d’appel qui édicte que « la subrogation ne comporte pas que des droits, elle comprend les obligations auxquelles ces mêmes droits sont assujettis » 8. L’interprétation de la Cour a eu pour conséquence d’empêcher M. Gagnon de résilier le bail, ce qui a retardé le projet pour lequel il avait acquis les immeubles 9 ; la clause subrogatoire étant le seul obstacle à l’ouverture de la pharmacie dans le délai prévu.10

Cette affaire met en lumière l’importance pour les acheteurs de prêter une attention particulière aux clauses généralistes des actes de vente dans le cadre de baux commerciaux. En particulier, lorsqu’il existe une intention de résilier des baux, il est essentiel d’examiner avec rigueur les implications des clauses subrogatoires. L’omission de cette diligence pourrait entraîner des retards importants dans le projet, voire son échec total.

Également, la présence de clause subrogatoires implique également que l’acheteur aura procédé à une vérification diligente concertée des obligations du bailleur aux termes des baux avant d’en faire une assumation expresse, sans condition ni limitation.

Dans tous les cas, il demeure préférable de procéder à l’assumation des baux précis et non en des termes larges.

1 Troll Immobilier inc. c. Landry, 2022 QCCS 1920 (CanLII); cette affaire a été portée en appel, mais sur le quantum plutôt que sur l’interprétation de la clause subrogatoire qui a été plutôt confirmée. Les modalités relatives à cet appel sont donc omises du présent article.
2 Ibid, par. 5.
3 Ibid, par. 12.
4 Ibid, par. 12.
5 Ibid, par. 26.
6 Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991, art.1887.
7 Idem, note 1, par. 31.
8 Morris c. Matus Trading Co., AZ-75011114, [1975] C.A. 429, page 430.
9 Idem, note 1, par. 34.
10 Idem, note 1, par. 194.

Par : Me Audrey Robitaille, associée et Louisa Kouretas, étudiante

Partager cette publication