Le 23 septembre 2024, la Cour d’appel du Québec accordait la demande d’injonction permanente de M. Pierre-Yves Beaudoin (le « Plaignant »), propriétaire d’un immeuble commercial et résidentiel voisin du cabaret La Tulipe, à l’encontre de la propriétaire dudit cabaret et de l’agence de production du cabaret (collectivement, « La Tulipe1 »).
Ce faisant, la Cour d’appel, sous la plume de l’Honorable Sansfaçon, infirmait partiellement le jugement de première instance intervenu dans ce dossier2, et ordonnait à La Tulipe, notamment, (i) de cesser l’émission, par les appareils sonores de cet établissement, d’un bruit audible à l’intérieur du bâtiment du Plaignant et sur sa terrasse, et (ii) de « prendre toutes les mesures appropriées pour s’assurer que le bruit provenant des appareils sonores de l’établissement » ne soit plus audible à l’intérieur de l’immeuble voisin et sur la terrasse.
Pour rappel, le litige opposant les parties portait sur le bruit émis par La Tulipe dans l’immeuble qu’habite le Plaignant, et plus particulièrement, sur les sons émis par les appareils d’amplification utilisés par le cabaret plusieurs fois par semaine. L’immeuble où se déroulent les activités du cabaret et celui du Plaignant ne sont séparés que par un mur mitoyen, lequel ne permet pas de couper entièrement les sons émis par La Tulipe jusque dans l’immeuble du Plaignant.
En l’occurrence, le Règlement sur le bruit à l’égard du territoire du Plateau-Mont-Royal3 (le « Règlement »), et plus particulièrement la relation entre les articles 8 et 9 de celui-ci est au cœur du litige.
Pour mémoire, aux termes de l’article 8 du Règlement, un bruit perturbateur devient interdit s’il atteint un niveau de pression acoustique supérieur au niveau maximal de bruit normalisé, fixé par ordonnance, à l’égard du lieu habité touché par cette émission4.
De son côté, l’article 9 prohibe spécifiquement tout bruit produit au moyen d’appareils sonores, lorsqu’il s’entend à l’extérieur ou dans un autre local que celui d’où il provient, et ce, quelle que soit sa destination, que lesdits appareils sonores soient situés à l’intérieur d’un bâtiment ou qu’ils soient installés ou utilisés à l’extérieur5.
En première instance, la Cour supérieure ordonnait à La Tulipe, notamment, de se conformer à l’engagement de cette dernière d’effectuer des travaux d’insonorisation. En effet, aux termes de l’expertise retenue par le juge de première instance, ces travaux d’insonorisation auraient pour effet de réduire le niveau des émissions sonores de La Tulipe, de sorte qu’elles soient suffisamment basses pour être conformes à la réglementation municipale liée aux niveaux de pression acoustique permis (article 8 du Règlement), sans pour autant être réduites en entier auprès de l’immeuble du Plaignant (article 9 du Règlement). Ce faisant, le juge de première instance écartait de son analyse le fait que des bruits de fond pourraient demeurer « à peine » ou « peu » perceptibles auprès de l’immeuble du Plaignant malgré ces travaux, et conséquemment, que ces travaux n’auraient pas nécessairement pour effet de rendre conforme les activités de La Tulipe à l’article 9 du Règlement.
Dans sa décision, la Cour d’appel conclue que les articles 8 et 9 du Règlement sont indépendants l’un de l’autre. Dans ses motifs, l’Honorable Sansfaçon soutient qu’une contravention à l’article 9 du Règlement intervient dès lors que le bruit s’entend de l’extérieur ou dans un autre local que celui d’où il provient, et ce, sans égard à l’article 8, qui limite le niveau de pression acoustique pouvant être atteint. L’infraction prévue à l’article 9 du Règlement est régie par une norme objective, et celle-ci a lieu dès lors qu’il y a du bruit – même si ce bruit est « à peine » ou « peu » perceptible. La Cour d’appel indique également que le devoir de tolérance entre voisins, prescrit par le Code civil du Québec, ne peut être invoqué à l’encontre d’un comportement qui contrevient directement à une telle norme réglementaire.
La Cour d’appel note qu’il n’y a pas lieu de prohiber les activités de La Tulipe, celles-ci n’étant pas illicites, mais que La Tulipe se doit, à tout le moins, de respecter le Règlement. Le fait de procéder à des travaux d’insonorisation – tel qu’ordonné par la Cour supérieure – ne peut garantir en soi qu’aucun bruit ne sera perceptible dans l’immeuble du Plaignant. Il convient donc, selon elle, de se limiter à ordonner le respect par La Tulipe de l’article 9 du Règlement.
Suivant cette décision et la publicisation de cette dernière, l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal a adopté, le 7 octobre dernier, le Règlement (2024-15) modifiant le Règlement sur le bruit à l’égard du territoire du Plateau-Mont-Royal afin de soustraire notamment les bars, les restaurants, les brasseurs artisanaux, les établissements artisanaux et les salles de spectacle de certaines contraintes liées au bruit imposées par le Règlement – y compris de contraintes imposées par son article 9 – et ainsi, de leur éviter une situation similaire6. L’arrondissement du Plateau-Mont-Royal a également l’intention de déposer une nouvelle mouture de sa règlementation en matière de bruit en janvier 2025. Il sera intéressant de voir les impacts que cette décision de la Cour d’appel aura sur la règlementation municipale en matière de bruits, puis sur la cohabitation entre les immeubles d’habitation et commerciaux.
1. Beaudoin c. Cabaret Music-Hall inc., 2024 QCCA 1237.
2. Beaudoin c. Cabaret Music-Hall inc., 2023 QCCS 1660.
3. R.R.V.M., c. B-3.
4. Préc., note 1, par. 14.
5. Art. 9 al. 1.
6. La Presse Fermeture de La Tulipe : Montréal modifiera sa réglementation sur le bruit, 25 septembre 2024.