Construire en période de guerres commerciales : les droits de douane, une force majeure?

L’incertitude causée par l’imposition de droits de douane de 25 % sur les produits canadiens combinée avec la riposte du gouvernement canadien ralentiront certainement le rythme de construction résidentielle. Une telle situation vient évidemment miner la confiance des consommateurs et impacter les demandes d’investissement et les mises en chantier. Avec 2,5 milliards de dollars américains de biens et de services échangés quotidiennement de part et d’autre de la frontière, le Canada et les États-Unis sont mutuellement leurs principaux partenaires commerciaux. 

Les droits de douanes imposés entre les États-Unis et le Canada auront certainement un impact significatif sur l’industrie canadienne de la construction, notamment en ce qui concerne les coûts des matériaux, les perturbations de la chaîne d’approvisionnement et les délais des projets. Face à ces défis, les promoteurs et les entreprises de construction éprouvent des difficultés à respecter leurs obligations contractuelles en raison de facteurs indépendants de leur volonté, tels que les retards de livraison, l’augmentation des coûts des matériaux ou d’autres conséquences imprévues de l’imposition de tarifs douaniers. D’où la question suivante : les droits de douane et leurs effets peuvent-ils être considérés comme « force majeure » dispensant ainsi une partie de remplir ses obligations contractuelles ?

Pour répondre à cette question, il convient tout d’abord de se pencher sur la définition juridique de la force majeure. L’article 1470 du Code civil du Québec (le « CCQ ») définit ce terme comme étant « un événement imprévisible et irrésistible; y est assimilée la cause étrangère qui présente ces mêmes caractères » 1 . Le premier critère implique que l’événement ne pouvait être raisonnablement anticipé par une personne normalement diligente et prévoyante. Le deuxième critère est une double exigence : l’événement doit être à la fois « inévitable et insurmontable » 2 . L’événement doit être inévitable par sa survenance, et insurmontable par ses effets 3 . Le débiteur doit donc établir que l’événement a rendu l’exécution de l’obligation « absolument impossible », non seulement pour lui, mais pour quiconque. L’obligation doit être inatteignable, et non simplement plus difficile ou onéreuse. Il ne suffit donc pas de démontrer l’existence d’inconvénients, peu importe leur gravité 4 . Dans les cas des tarifs, l’exécution de l’obligation de devient pas impossible mais plutôt plus onéreuse. De plus, il semble difficile d’affirmer qu’une hausse de tarifs est imprévisible.

Cela dit, les parties à un contrat peuvent toujours prévoir leur propre définition de « force majeure » 5 , auquel cas cette définition contractuelle peut être plus vaste que celle du CCQ et inclure l’imposition ou la hausse de tarifs. Dans ce cas, la définition du CCQ est écartée et celle stipulée dans le contrat s’applique, ce qui pourrait permettre aux entrepreneurs de se soustraire à leurs obligations contractuelles. Il est également important d’être bien au courant des autres clauses qui peuvent atténuer les obligations contractuelles. Par exemple, l’entrepreneur pourrait avoir inclus une clause d’ajustement de prix en fonction de l’augmentation du coût des matériaux et des composants. Une telle clause permet de modifier le prix garanti des biens ou des services sous certaines conditions et dans des situations spécifiques. En outre, les contrats prévoient parfois un droit de résiliation par l’une ou l’autre des parties, ou les deux. Ces clauses pourraient permettre aux entrepreneurs de mettre fin au contrat si le climat économique entourant les tarifs rend l’exécution de leurs obligations excessivement coûteuse.

Il est ainsi dire que naviguer dans les méandres des différends commerciaux et des défis tarifaires peut s’avérer délicat et avoir un impact important sur les entreprises concernées. Il est donc primordial pour les entreprises confrontées par ces tensions commerciales de prendre connaissance des clauses pertinentes de leurs contrats et leur application dans ce contexte afin de maîtriser pleinement leurs droits et obligations.

1 Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991, art.1470.
2 Gingras c. 3 9086-5767 Québec inc., 2019 QCCQ 3537.
3 Lluelles, Didier et Moore, Benoît, Droit des obligations, 3e éd., Montréal, Les Éditions Thémis, 2018, 2472 p.
4 Ibid.
5 Ensyn Technologies inc. c. IMTT Québec inc., 2023 QCCA 1369.

Par : Me Audrey Robitaille et Louisa Kouretas, étudiante

 

Partager cette publication