L’impact de la règlementation municipale sur l’indemnité d’expropriation

Les décisions concernant l’expropriation sont courantes en droit québécois, le montant versé par l’entité expropriante à l’expropriée étant souvent cause de discussions et de désaccords entre les parties impliquées.

Nous vous présentons aujourd’hui une décision de la Section des affaires immobilières du Tribunal administratif du Québec, Ville de Mercier c. 9218-3763 Québec inc., quant à l’application du principe de planning blight en droit québécois de l’expropriation.

Cette théorie peut être résumée comme suit :
« Le planning blight peut être défini comme l’affaissement ou la dépréciation économique de la valeur d’un immeuble qui débute avec l’annonce publique que des terrains ou immeubles feront l’objet d’une réglementation restrictive et serons peut-être soumis à des procédures d’expropriation et le moment où l’autorité publique s’empare effectivement de ces terrains par expropriation ou leur vente de gré à gré parce qu’ils sont menacés d’expropriation. »

Ainsi, lorsque vient le temps d’évaluer l’indemnité que l’autorité expropriante devra verser au propriétaire voyant son terrain exproprié, un règlement ou autre restriction adoptée par une autorité, que celle-ci soit la même autorité que l’autorité expropriante ou non, pourra être écarté si la preuve est faite que cette restriction fut adoptée afin de mettre en œuvre le but recherché par l’expropriation elle-même. La municipalité ne peut se prévaloir de son propre comportement pour justifier une indemnité d’expropriation plus basse qu’elle ne l’aurait été, n’eût été son comportement :

« Dans un récent arrêt, la Cour d’appel vient de rappeler que la valeur d’un terrain doit toujours être examinée sous l’angle le plus avantageux pour l’exproprié. Elle souligne de plus que la valeur d’un terrain étant tributaire du zonage dont il fait l’objet, une municipalité ne peut causer une baisse de valeur marquée à un immeuble par le biais d’un zonage restrictif pour ensuite en tirer profit en l’expropriant à moindre coût. »

Par exemple, si la municipalité, la municipalité régionale de comté (« MRC ») ou toute autre autorité adopte un règlement visant le terrain qui sera exproprié pour empêcher la construction d’immeuble puisque la municipalité entend exproprier le terrain pour en faire un parc, elle ne peut utiliser ce même règlement, qui forcément fera réduire la valeur marchande du terrain puisque son usage est dorénavant très restreint, pour justifier le montant de l’indemnité payable. Le Tribunal devra faire abstraction de ce règlement lorsqu’il établira la valeur de l’indemnité qui sera payée à l’exproprié.

Toutefois, si un règlement adopté par la municipalité affecte la valeur marchande du terrain, mais n’a pas un lien apparent avec l’expropriation projetée (par exemple l’adoption d’un nouveau règlement général de zonage), la preuve du planning blight sera plus complexe à démontrer, puisque le lien causal entre le règlement et l’expropriation est faible.

Dans le cas de la décision étudiée aujourd’hui, la Ville de Mercier (la « Ville ») entendait acquérir par voie d’expropriation un terrain appartenant à 9218-3763 Québec inc. (« 9218 »), et a fait des démarches auprès de la Communauté métropolitaine de Montréal (« CMM ») pour obtenir une aide financière. La Ville a par la suite signifié un premier avis d’expropriation à 9218 pour le terrain, environ deux mois avant l’adoption par la CMM du Règlement de contrôle intérimaire 2022-96 (« RCI »), qui a proscrit la construction de tout ouvrage sur le terrain. Étant donné que le RCI était intimement lié au processus d’expropriation du terrain par la Ville, et que le RCI réduit la valeur marchande du terrain, il ne fait nul doute aux yeux du Tribunal que nous sommes dans un cas de planning blight; dès lors, le Tribunal fait abstraction du RCI dans le cadre de son évaluation de l’indemnité à verser.

L’application de cette théorie permet de protéger l’exproprié de toute baisse de son indemnité en raison de l’adoption d’une règlementation restrictive pour la mise en place du but recherché par l’expropriation.

1 2024 QCTAQ 1020.
2 Lapray Realties Ltd. c. Montréal (Communauté urbaine), 1999 CanLII 10531 (C.Q.), par. 72.
3 Ville de Longueuil c. José Henrique Pinto et al., SAI-M-083558-0304, 16 mars 2005, référant à Montréal (Ville de) c. Benjamin, 500-09-013983-036, 2004-11-30 (En appel de Charles Benjamin
4 Ville de Montréal, 500-05-016054-924, 2003-11-05).

Par Me Bruno Fraticelli

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