LITIGE CIVIL ET COMMERCIAL : OBLIGATION D’ATTÉNUER LES DOMMAGES

Par : Gascon

En général, une victime est tenue de prendre les mesures appropriées pour éviter ou atténuer tout préjudice subi et résultant des actes ou du comportement d’une personne fautive. [cite: 1]

Le principe derrière cette règle est énoncé à l’article 1479 du Code civil du Québec : [cite: 2]

1479. La personne tenue de réparer un préjudice n’est pas tenue de réparer l’aggravation de ce préjudice que la victime pouvait éviter. [cite: 2]

Cela étant dit, une récente décision unanime de la Cour d’appel du Québec, rendue le 16 avril 2021, dans les motifs du juge, nous a rappelé l’application de cette règle dans un contexte où le demandeur réclame des dommages-intérêts pour perte de profits, soit l’évaluation квантовая des dommages qui peuvent être accordés. [cite: 3]

La réclamation s’inscrivait dans le cadre d’un projet de partenariat à long terme concernant l’exploitation d’une cabane à sucre qui a avorté après seulement quelques mois malgré une entente qui était censée durer beaucoup plus longtemps. [cite: 4]

En première instance, en janvier 2019, le juge Claude Dallaire avait condamné le défendeur, propriétaire de la cabane à sucre, à verser plus de 320 000 $ au demandeur pour couvrir les profits dont il avait été privé en raison de la décision du défendeur de ne pas donner suite à leur entente conclue quelques mois auparavant. [cite: 5]

À la suite du jugement de première instance, le défendeur a interjeté appel sur la base de nombreux aspects du jugement du juge Dallaire, mais entre autres, sur la base de la conclusion accordant au défendeur des dommages-intérêts pour les profits qu’il aurait tirés de l’entente (c.-à-d. un bail de 15 ans), car cette conclusion n’appliquait pas adéquatement la règle découlant de l’article 1479 C.c.Q. [cite: 6]

Dans son raisonnement, le juge a utilisé les mots de la juge Dutil dans sa décision de 2014 dans Lebel c. [cite: 7]

9067-1959 Québec inc. pour résumer les « tenants et aboutissants » de cette règle : [cite: 7, 8]

« Des enseignements de la jurisprudence et de la doctrine, on peut conclure que l’obligation de minimiser les dommages, édictée à l’article 1479 C.c.Q., possède les caractéristiques suivantes : [cite: 8]

  1. Il s’agit d’une obligation de moyen; [cite: 8, 9]
  2. Elle s’évalue selon un test objectif : celui de la personne diligente et raisonnable placée dans les mêmes circonstances; [cite: 9]
  3. Elle s’applique tant en matière contractuelle qu’extracontractuelle; [cite: 10]
  4. Son non-respect constitue une faute (distincte d’une faute menant à un partage de responsabilité); [cite: 10, 11]
  5. Cette faute empêche de qualifier les dommages qui en découlent (aggravation du préjudice) de « directs » ou de « prévisibles », faisant ainsi écran à la responsabilité du débiteur à cet égard. [cite: 11]

» [cite: 12]

Le juge Bachand a poursuivi en résumant une autre décision de 2008 de la Cour d’appel, qui illustrait bien l’incidence de la règle dans un contexte de réclamation pour perte de profits dans le cadre d’un appel d’offres, dans la décision de 3051226 Canada inc. [cite: 12, 13]

c. Aéroports de Montréal . [cite: 13]

Dans cette décision, la Cour d’appel a décidé que l’appelant n’était autorisé à recevoir qu’un montant de dommages-intérêts correspondant au tiers des profits qui auraient prétendument été réalisés si le contrat leur avait été attribué, soit environ 400 000 $. [cite: 13, 14]

Initialement, les parties avaient convenu de fixer à 1 200 000 $ le montant du profit qu’elles auraient réalisé en trois mois si le contrat avait duré. [cite: 14]

Toutefois, considérant que le juge de première instance avait constaté que l’appelant n’avait pas pris les mesures appropriées pour atténuer le préjudice subi, il n’a accordé qu’un tiers des dommages-intérêts fixés, et cette décision a été maintenue en appel. [cite: 15]

Le juge Bachand était d’avis que les dommages-intérêts pour les profits qui se seraient matérialisés au cours des quinze années que le bail était censé durer étaient beaucoup trop élevés, de sorte que le juge de première instance avait commis une erreur à ce niveau : [cite: 16]

[16] Le problème tient essentiellement au fait que la juge a concentré son analyse de la capacité de l’intimée à trouver une occasion d’affaires comparable sur le court terme. [cite: 16, 17]

[17] Bien qu’elle ait conclu que l’on ne pouvait reprocher à l’intimée de ne pas avoir trouvé — « dans les quelques années suivant la fin de sa relation avec [l’appelante], et avant l’audition de sa cause »[7] — une occasion d’affaires comparable, son jugement est muet sur les motifs pour lesquels l’intimée n’aurait pas été en mesure d’éviter l’aggravation de son préjudice à moyen et à long terme. [cite: 17, 18]

[18] Puisque, sur ce point, « la décision [de la] juge de première instance ne suffit pas à expliquer le résultat aux parties »[8], et puisque notre Cour « [ne] s’estime [pas] en mesure de l’expliquer »[9], cette omission constitue une erreur de droit. [cite: 18, 19]

[19] [17] Il s’agit de surcroît d’une erreur qui, à la réflexion, s’avère déterminante. [cite: 19, 20]

[20] [18] Certes, l’intimée a raison de souligner qu’il revient généralement à la personne fautive de démontrer non seulement que la victime a omis de prendre des mesures raisonnables en vue de minimiser son préjudice, mais aussi que cette dernière avait la possibilité de le minimiser[10]. [cite: 20, 21]

[21] Il est également vrai que l’appelante n’a pas administré une preuve détaillée quant aux occasions d’affaires qui étaient susceptibles de s’offrir à l’intimée durant les années suivant l’échec du projet de partenariat. [cite: 21, 22]

[22] [19] Toutefois, même si l’absence d’une telle preuve pourra jouer en défaveur de la personne fautive, elle ne lui sera pas nécessairement fatale. [cite: 22, 23]

[23] La raison tient au fait qu’il est parfois possible d’inférer du contexte d’une affaire donnée et des autres éléments de preuve au dossier que la personne fautive cessera de répondre de l’aggravation du préjudice subi par la victime à partir d’une certaine date[11]. [cite: 23, 24]

Ce dernier paragraphe du raisonnement du juge Bachand est important, car il souligne que le contexte entourant l’affaire est important pour les parties au moment de quantifier les dommages-intérêts. [cite: 24, 25]

La compréhension et la prise en considération du contexte de l’affaire et des faits entourant les parties permettent au tribunal de décider, en exerçant son pouvoir discrétionnaire, à quel moment exactement la victime de l’affaire a commencé à être responsable d’une partie du préjudice subi et réclamé. [cite: 25, 26]

Il y a parfois un manque de preuve par le défendeur de toutes les choses que le demandeur n’a pas faites et aurait pu faire pour atténuer ou éviter une partie du préjudice subi et réclamé. [cite: 26, 27]

Mais il est important de comprendre qu’un manque de preuve n’est pas fatal dans un tel cas, car la Cour peut alors exercer son pouvoir discrétionnaire pour réduire le montant qui devrait être accordé en dommages-intérêts à un niveau plus raisonnable. [cite: 27, 28]

Comme l’a dit le juge Bachand dans son raisonnement, le juge de première instance Dallaire avait décidé que l’impossibilité pour la victime de réduire le préjudice subi était une question relative, donc simplement limitée dans le temps. [cite: 28, 29]

Le juge Bachand a donc fixé à trois ans et demi la période après laquelle la victime est devenue responsable de l’aggravation du préjudice. [cite: 29, 30]

Cela a donc ramené le montant des dommages-intérêts accordés en première instance pour une période de 15 ans à un montant proportionnel pour la période fixée en première instance. [cite: 30, 31]

À ce sujet, notons les auteurs Jobin et Vézina qui sont d’avis que l’obligation d’atténuer les dommages s’applique tant aux cas de responsabilité contractuelle que civile, et qu’elle est fondée sur les principes selon lesquels les débiteurs ne doivent indemniser que ce qui est une suite directe et immédiate de la faute et que chaque partie a une obligation de bonne foi dans l’exécution de ses obligations. [cite: 31, 32]

Le tribunal usera donc de son pouvoir discrétionnaire dans une situation où un demandeur réclame une perte de profits à titre de dommages-intérêts mais est resté inactif alors qu’il subissait lesdits dommages-intérêts réclamés, et sans faire le moindre effort pour trouver une autre source de revenus au besoin. [cite: 32, 33]

Le fardeau de la preuve que la victime aurait pu faire quelque chose de raisonnable pour éviter et atténuer les dommages incombe au défendeur, mais le tribunal a un pouvoir discrétionnaire fondé sur le contexte et les faits de l’affaire pour ajuster le квант des dommages-intérêts à accorder en conséquence. [cite: 33, 34]

Le pouvoir discrétionnaire du tribunal d’ajuster les dommages-intérêts réclamés en fonction des actions du demandeur/de la victime est donc très important à considérer lors de l’analyse d’un dossier et des conseils à un client. [cite: 34, 35]

Pour plus d’informations, n’hésitez pas à communiquer avec moi ou l’un de mes collègues de Gascon & Associés. [cite: 35]

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