Cet article fait suite aux chroniques préalablement écrites par Me Mélanie Masson, avocate spécialiste en droit corporatif au sein du département de droit immobilier et transactionnel de Gascon & Associés, S.E.N.C.R.L. Pour consulter ces articles, il suffit de suivre les liens suivants :
Les nouvelles exigences du gouvernement québécois en matière de transparence corporative
Le 8 juin 2021, L’Assemblée nationale du Québec a sanctionné le projet de loi 78, soit la Loi visant principalement à améliorer la transparence des entreprises (ci-après la « Loi »), déposé à l’Assemblée Nationale en décembre 2020 par le Ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale du Québec, Monsieur Jean Boulet.
Proposant une modification du cadre législatif présentement en place régissant les exigences d’enregistrement des entreprises opérant au Québec, soit de la Loi sur la publicité légale des entreprises (communément appelée la « LPLE »), il ressort de la Loi que le gouvernement caquiste de M. Legault cherche notamment à imposer aux entreprises assujetties à la LPLE une obligation de déclarer auprès du Registraire des Entreprises du Québec (le « REQ ») certaines informations relatives aux personnes physiques qui sont leurs « bénéficiaires ultimes », un terme dont la définition laisse toutefois planer une certaine incertitude quant à sa portée ultime.
En conséquence de la Loi, l’article 0.4 de la LPLE définira un « bénéficiaire ultime » d’une entreprise assujettie à la LPLE comme étant une personne physique qui :
« 1° […] est détentrice, même indirectement, ou bénéficiaire d’un nombre d’actions, de parts ou d’unités de l’assujetti qui lui confère la faculté d’exercer 25 % ou plus des droits de vote afférents à celles-ci;
2° […] est détentrice, même indirectement, ou bénéficiaire d’un nombre d’actions, de parts ou d’unités d’une valeur correspondant à 25 % ou plus de la juste valeur marchande de toutes les actions, parts ou unités émises par l’assujetti;
3° […] a une influence directe ou indirecte telle que, si elle était exercée, il en résulterait un contrôle de fait de l’assujetti;
4° […] en est le commandité ou, si un commandité de l’assujetti n’est pas une personne physique, elle satisfait à l’une des conditions visées aux paragraphes 1° et 3° ou est partie à une entente visée au deuxième alinéa à l’égard de ce commandité;
5° […] en est le fiduciaire.
Lorsque des personnes physiques détentrices, même indirectement, ou bénéficiaires d’actions, de parts ou d’unités de l’assujetti ont convenu d’exercer conjointement les droits de vote afférents à celles-ci et que cette entente a pour effet de leur conférer ensemble la faculté d’exercer 25 % ou plus de ces droits, chacune d’elles est considérée être un bénéficiaire ultime de l’assujetti. […] »
Selon cette définition, un « bénéficiaire indirect » serait une personne physique (c’est-à-dire un particulier) qui est un « détenteur, même indirectement », ou un « bénéficiaire » d’actions conférant au moins 25 % des actions ou d’un nombre d’actions ayant une valeur correspondant à 25% ou plus de la juste valeur marchande de toutes les actions émises par la société concernée, ou qui exerce un « contrôle de fait » sur celle-ci.
L’article 98 de la LPLE sera ainsi modifié afin de prévoir que le registre du REQ indiquera désormais publiquement « les nom et domicile des bénéficiaires ultimes ainsi que le type de contrôle exercé par chacun d’eux ou le pourcentage d’actions, de parts ou d’unités qu’ils détiennent ou dont ils sont bénéficiaires ». Aussi, la date à partir de laquelle elles sont devenues un bénéficiaire ultime et, le cas échéant, celle à laquelle elles ont cessé de l’être devront être inscrites au registre à venir.
Également, sous sa forme actuelle la Loi permettrait non seulement le REQ de rendre cette information publique et accessible à tous, mais il serait également possible d’effectuer une recherche audit registre en cherchant directement le nom des personnes physiques qui sont les bénéficiaires ultimes, directeurs ou officier d’une société spécifique, un détail causant plusieurs militants pour la protection des renseignements personnels et du respect de la vie privée à remettre en question l’incidence qu’aura la Loi sur la vie privée des particuliers dont les renseignements personnels deviendraient librement accessibles.
Il s’agit d’une approche différant du processus mis en place par Ottawa pour moderniser le seuil de transparence des sociétés régies par la Loi Canadienne sur les sociétés par actions (la « LCSA »). En effet, depuis juin 2019, la LCSA prévoit à son tour la mise en place d’un registre des informations personnelles des « bénéficiaires ultimes » des sociétés applicables. Celles-ci demeurent cependant à l’abri des yeux du public, n’étant obligatoirement accessibles qu’à certaines autorités administratives et fiscales fédérales, ainsi qu’à ses actionnaires et à ses créanciers.
En contraste avec le désir de protéger les renseignements privés des particuliers, il ressort de la Loi que dans la foulée du scandale des Panama Papers et des récents efforts internationaux pour répondre à l’évasion fiscale, le gouvernement du Québec cherche à lutter plus activement contre le blanchiment d’argent et la corruption, tel que souligné en point de presse par M. Jean Boulet, en misant d’abord sur la transparence des entreprises faisant affaires au Québec :
« Le projet de loi que nous avons adopté aujourd’hui vient redéfinir la mission du Registraire des entreprises. Je suis fier de dire que nous nous réapproprions enfin notre rôle de leader en matière de transparence des entreprises en proposant les dispositions les plus avancées en Amérique du Nord. Par exemple, la mise en œuvre de mécanismes qui visent à contrer l’évitement fiscal abusif et la corruption permettra d’accroître la confiance de la population envers nos entreprises et leurs propriétaires. L’adoption de ce projet de loi envoie un signal fort de la volonté du gouvernement de s’inspirer des meilleures pratiques pour faire du Québec un lieu de choix pour faire des affaires en toute transparence. »
À ce jour, la date d’entrée en vigueur des dispositions de la Loi visant principalement à améliorer la transparence des entreprises est inconnue, mais il est envisagé que celle-ci survienne d’ici octobre 2022. Tout défaut d’une société soumise à se conformer aux nouvelles exigences pourrait déclencher les pénalités et les mesures administratives existantes sous la LPLE, soit des sanctions pouvant inclure la radiation d’office et des pénalités variant de $500 à $25,000.