La responsabilité limité des commanditaires dans une société en commandite

La responsabilité limitée des commanditaires : une protection à nuancer

L’un des grands attraits de la société en commandite (« SEC ») est la responsabilité limitée offerte aux commanditaires. En principe, ces derniers ne sont responsables qu’à hauteur de leur apport au fonds commun, ce qui en fait une structure prisée par les investisseurs souhaitant soutenir un projet sans s’exposer aux risques liés à la gestion.

Ce qu’on entend par « apport » convenu

En cas d’insuffisance des biens de la SEC, le commandité est tenu solidairement des dettes de la SEC envers les tiers; le commanditaire y est tenu jusqu’à concurrence de l’apport convenu, malgré toute cession de part dans le fonds commun 1.

Il est essentiel de bien comprendre ce que signifie « l’apport convenu ». En effet, ce dernier ne se limite pas aux sommes versées dans la SEC. Il comprend également le montant que le commanditaire s’est engagé à contribuer (communément appelé, l’apport convenu), même si cette somme n’a pas encore été versée. Autrement dit, un commanditaire peut être tenu responsable jusqu’à la totalité de son engagement de contribution, qu’il ait ou non versé ce montant à la date de la réclamation.

Responsabilité en cas de bénéfices distribués

La responsabilité limitée d’un commanditaire peut être engagée lorsqu’il reçoit une part des bénéfices générés par la SEC, et que cette distribution entame le fonds commun. Dans un tel cas, le commanditaire est tenu de remettre la somme nécessaire pour couvrir sa part du déficit et ce, même s’il a entièrement exécuté son engagement de contribution initiale 2.

En d’autres termes, tant que la SEC n’a pas les ressources suffisantes pour payer ses dettes après une distribution, le commanditaire demeure responsable jusqu’à concurrence du montant total de son apport.

Responsabilité après le retrait ou le rachat

La responsabilité du commanditaire ne disparaît pas automatiquement lors de son retrait de la SEC. Lorsqu’un commanditaire cède sa participation à un tiers, il demeure solidairement responsable envers les tiers, avec l’acquéreur pour toute portion de son engagement de contribution au capital qui n’a pas encore été versée 3. Le même principe s’applique si la SEC rachète ses parts : l’ancien commanditaire reste responsable à concurrence du montant de son engagement, sauf s’il est démontré qu’au moment du paiement du prix de rachat, il subsistait suffisamment de biens dans la SEC pour acquitter ses dettes.

Le commanditaire ayant cédé ou fait racheter ses parts demeure tenu des obligations pouvant résulter de sa participation dans la SEC, alors qu’il en était encore commanditaire à l’égard des tiers 4.

Le commanditaire peut-il être responsable au-delà de l’apport convenu ?

Bien que la règle générale veuille que le commanditaire soit responsable seulement jusqu’à concurrence de son apport convenu, certains comportements ou situations peuvent annuler cette protection. Le Code civil du Québec prévoit notamment trois (3) exceptions majeures où un commanditaire pourrait être tenu responsable au-delà de son apport :

  1. Si la SEC n’indique pas sa forme juridique dans son nom ou à la suite de celui-ci ; dans un acte conclu par la SEC 5 ;
  2. Si le nom des commanditaires apparaît dans le nom de la SEC, sans que sa qualité de commanditaire soit clairement indiquée 6 ;
  3. Si le commanditaire a cautionné les obligations de la SEC 7 ;
  4. Par l’application de l’article 2244 C.c.Q., si le commanditaire participe à la gestion au-delà de simples avis consultatifs ou représente la SEC comme agent ou mandataire, ou encore utilise son nom dans un acte de la SEC, ce qui entraîne la pleine responsabilité du commanditaire pour les obligations de la société 8 .

Conclusion

La SEC offre un cadre attrayant pour les investisseurs passifs, mais la limitation de responsabilité qu’elle propose repose sur des conditions strictes. L’apport constitue une référence centrale à cette limitation, et son interprétation englobe à la fois les sommes versées et celles promises. Par ailleurs, certains événements comme la distribution de bénéfices, le retrait ou le rachat de parts, ou encore une implication non permise dans la gestion peuvent prolonger ou élargir la responsabilité d’un commanditaire.

Dans un prochain article, nous explorerons plus en détail les situations où la responsabilité des commanditaires dépasse leur apport convenu, ainsi que les précautions à prendre pour éviter de perdre le bénéfice de cette protection.

1Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991[C.c.Q.], art. 2246.
2 Ibid, art. 2242.
3 André Vautour et Guillaume Lavoie, « Épée de damoclès ou épouvantail ? Jusqu’où l’investisseur dans un fonds d’investissement peut s’impliquer dans ce fonds sans risquer de perdre sa responsabilité limitée ? » Développement récent en droit des affaires, (2016) Cowansville, Y. Blais, vol. 417 et C.cQ. Supra note 1, art. 2246.
4 Ibid, art. 2243.
5 Ibid, art. 2197.
6 Ibid, art. 2247.
7 Ibid, art. 2246 al. 2.
8 Paul Martel, Société en commandite : l’immixtion des commanditaires dans la gestion est-elle vraiment une source de responsabilité? 2006 – La Revue du Barreau, tome 66; C.c.Q., supra note1, art. 2244.

Par Me Roxanne Dupuis

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