Le principe de responsabilité limitée
L’un des principaux avantages de la société en commandite (« SEC ») est qu’elle permet à certains associés, appelés commanditaires, de participer financièrement à un projet sans être exposés aux risques personnels illimités liés à la gestion. En principe, les commanditaires ne sont responsables des dettes de la société qu’à concurrence de leur apport convenu au fonds commun 1.
Ce régime de responsabilité limitée favorise les investissements passifs, notamment dans les domaines de l’immobilier ou du capital de croissance.
Les limites imposées par le Code civil du Québec
Le Code civil du Québec (« C.c.Q. »), à l’article 2244 2., encadre strictement ce régime de protection. Il prévoit que le commanditaire ne peut exercer qu’un rôle consultatif dans la gestion de la SEC. Il lui est interdit de :
- négocier des affaires au nom de la société ;
- agir comme mandataire ou agent de celle-ci ;
- permettre que son nom figure dans des actes de la SEC.
Lorsqu’un commanditaire dépasse ces limites, on parle alors d’immixtion dans les affaires de la SEC. Cette immixtion peut entraîner la perte de sa responsabilité limitée, le rendant responsable comme un commandité, c’est-à-dire solidairement des dettes de la SEC, en cas d’insuffisance de son patrimoine 3.
Deux conditions pour engager la responsabilité du commanditaire
Cela dit, la responsabilité personnelle du commanditaire au-delà de son apport convenu ne peut être engagée qu’à la condition que deux (2) éléments soient réunis :
- Le commanditaire a participé activement à la gestion des affaires de la SEC, excédant le simple rôle consultatif ;
- Il a, par ses actes, induit un tiers en erreur, lui faisant croire qu’il contractait directement avec lui, ou qu’il agissait à titre de commandité.
La Cour d’appel a précisé que les actes de gestion interne posés par un commanditaire sont, à eux seuls, insuffisants pour engager sa responsabilité envers les tiers. La responsabilité est directement liée aux actes posés auprès des tiers 4.
Le premier alinéa de l’article 2244 C.c.Q. reconnaît le droit du commanditaire de donner des avis de nature consultative concernant la gestion de la société en commandite, mais ne rattache aucune responsabilité au fait qu’il joue éventuellement un rôle plus actif dans la gestion de celle-ci 5.
Pour qu’un commanditaire puisse être tenu responsable personnellement des dettes et obligations de la société en commandite au-delà de l’apport convenu, il faudra à la fois qu’il ait participé activement dans la gestion des affaires de la société en commandite (c’est-à-dire aller au-delà du simple avis de nature consultative) et qu’il ait induit un tiers à croire qu’il transigeait directement avec le commanditaire ou que le commanditaire était un commandité. Cette preuve sera faite si le commanditaire a posé l’un ou l’autre des actes proscrits par le deuxième alinéa de l’article 2244 C.c.Q. 6
Il n’incombe pas au tiers de démontrer qu’il a effectivement cru que le commanditaire agissait à titre de commandité ou s’engageait personnellement. En effet, l’immixtion, au sens de l’article 2244 C.c.Q., n’exige pas la preuve d’une croyance erronée chez le tiers 7.
L’immixion et la levée du voile corporatif : deux concepts distincts
Il est important de distinguer l’immixion de la levée du voile corporatif 8, qui s’applique aux sociétés par actions. En effet, la SEC ne possède pas de personnalité juridique distincte, ce qui explique que leur responsabilité puisse être plus facilement engagée en cas de comportement ambigu ou trompeur.
Une responsabilité subsidiaire
Même lorsqu’un commanditaire devient responsable « comme un commandité », il conserve le bénéfice de discussion : son patrimoine personnel ne peut être saisi que si celui de la SEC est insuffisant pour acquitter ses dettes. Il demeure donc un débiteur subsidiaire, non principal.
Mesures visant à éviter la confusion
Dans ce type de structure, il est fréquent qu’une même personne agisse à la fois comme administrateur, dirigeant ou mandataire d’une société commanditaire et comme administrateur ou dirigeant du commandité dans une société en commandite. Cette double fonction peut facilement prêter à confusion auprès des tiers, notamment quant à l’identité réelle de la personne qu’ils croient représenter 9.
Il est alors essentiel que ces personnes clarifient leur rôle lorsqu’elles agissent auprès de tiers. À défaut, elles pourraient créer une confusion sur l’identité du véritable cocontractant, ce qui pourrait entraîner l’application du deuxième alinéa de l’article 2244 C.c.Q. et faire tomber la protection du commanditaire.
Conclusion
L’immixtion dans les affaires d’une SEC constitue l’un des principaux motifs pouvant entraîner la perte du bénéfice de la responsabilité limitée du commanditaire. Toutefois, au Québec, ce n’est pas une règle automatique. Deux conditions doivent être réunies : une participation active interdite et un comportement susceptible d’induire un tiers en erreur.
Ce cadre juridique équilibré assure à la fois la protection des tiers et la sécurité juridique des investisseurs passifs, à condition que ceux-ci respectent rigoureusement les limites de leur rôle.
1 Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991[C.c.Q.]., art. 2246.
2 Ibid, art. 2244.
3 Ibid, art. 2244.
4 Enerkem Alberto Biofuels c. Papillon et Fils Itée, 2019 QCCA 1334 (disponible sur CanLII), au para 75.
5 Paul Martel, « Société en commandite : l’immixtion des commanditaires dans la gestion est-elle vraiment une source de responsabilité ? » (2006) 66R. du B. 247, p. 259.
6Jean-François Hébert et Audrey Lévesque, « La responsabilité limitée des commanditaires » dans Revue du notariat, vol 110-3, Montréal (QC), Chambre des notaires du Québec, 2008, 917, p. 936.
7 Ibid, au para 83.
8 Ibid, au para 85.
9 Supra note 6 aux p. 935-936.
Par Me Roxanne Dupuis